20-04-2016 : Journée de Pays à Kerazan


Détails de l'événement


 

20 avril 2016

Journée de pays Cornouaille atlantique de l’Association Bretonne

Manoir de Kerazan

Organisée de façon magistrale au manoir de Kerazan, près de Loctudy, par Jean Waton, délégué de pays Cornouaille atlantique de l’Association Bretonne, la journée du 20 avril 2016 fut consacrée aux deux fondateurs de l’Association bretonne, Jules Rieffel et Armand-René Maufras du Châtellier. La manifestation, en présence de Yann Kergall, président de l’association, a connu un grand succès dont témoigne la présence de près de 150 participants.

Deux temps forts se sont succédés lors de cette journée :

  • En matinée, le souvenir des deux fondateurs de l’Association bretonne fut évoqué de façon respective par Michel Germain pour ce qui concerne Jules Rieffel, et par Gilbert-Robert Delahayes pour Armand-René Maufras du Châtellier, avant la clôture sur une intervention du paléontologue Yves Coppens, élu la veille conservateur de Kerazan.
Y. Coppens et J. Waton

Y. Coppens et J. Waton (organisateur de la journée) Photo de Tugdual Andrieux

  • L’après-midi fut consacrée à la visite d’une part des collections du musée de Kerazan, d’autre part de l’église de Loctudy, avant le concert d’orgue donné par son titulaire Gwenael Riou.
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M. Pensec expliquant l’histoire de l’église de Loctudy.

  • Elle s’est terminée par l’accueil des membres de l’Association Bretonne par Henri des Déserts, au château de Kernuz, résidence d’Armand-René Maufras du Chatellier de 1842 à la fin de sa vie. Nicole du Chatellier, présente à cette journée, évoqua à cette occasion ses propres souvenirs liés à Kernuz.
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Kernuz : Yann Kergall prend la parole devant Nicole du Châtellier (à gauche) et Henri des Déserts (au fond).

Jules RIEFFEL (1806-1886)

Né le 5 décembre 1806 à Barr, en Alsace, où son père Antoine-Joseph Rieffel est notaire et maire de la ville, il fait ses études secondaires à Strasbourg, à la mort de son père en 1816, préparant l’examen d’entrée à Saint-Cyr. Il renonce cependant à sa vocation militaire en raison d’un problème de surdité pour entrer à l’Ecole d’agriculture de Roville, fondée par Mathieu de Dombasle, en Meurthe-et-Moselle. Ce dernier, chimiste et agronome né à Nancy le 26 février 1777, s’inscrit par ses idées dans le courant des notables agriculteurs du XIXe siècle. Plus qu’un pédagogue, il est pour Jules Rieffel un père de substitution, au point d’écrire en 1830 une lettre de recommandation à Guillaume Henri Bourgault-Ducoudray (futur beau-père de Jules), pour lui dire l’estime et l’affection qu’il voue à son ancien élève : « parmi tous les anciens élèves de l’établissement de Roville, il n’en est aucun Monsieur pour lequel je conserve le plus sincère attachement que pour notre Jules Rieffel ».

Jules sort premier de sa promotion en 1828 et songe un temps à s’établir en Égypte. Le sort en décide autrement, du fait de la rencontre décisive au domaine de Verneuil, en Maine-et-Loire, de Charles Haentjens, propriétaire du domaine de Grandjouan, en Loire inférieure, qu’il acquit en 1822 et dont il entreprend le défrichement dans la perspective de son exploitation agricole. Les deux hommes décident d’un partenariat qui conduit Jules à s’installer à Grandjouan, comme directeur, en 1830, avant qu’une association plus formelle soit concrétisée par la création d’une société.

Jules Rieffel s’engage corps et âme dans ce projet dont son partenaire se retire dès 1831. Cette même année, il épouse Henriette Bourgault-Ducoudray dont le père Guillaume Henri est un négociant influent, président de la chambre de commerce de Nantes, cofondateur de la Banque de Nantes et de la Caisse d’Epargne, propriétaire du Château des Grezillières, à Saint-Sébastien. Par ce mariage, Jules bénéficie de l’entregent, des relations et de l’aide financière de son beau-père. Il a aussi pour beau-frère Adolphe Auguste Billault (époux de Françoise Bourgault-Ducoudray), saint-simonien, cofondateur de la société industrielle de l’Ouest, secrétaire d’État à l’agriculture et au commerce, puis ministre de l’intérieur de Napoléon III. Ce dernier publiera notamment en 1834 De l’éducation en France et de ce qu’elle devrait être pour satisfaire aux besoins du pays. Il est à noter que sa cousine, Marie-Claire Cadou, a épousé Just Derrien, dont le père est le propriétaire du château de Kerazan.

À compter de son mariage, le travail acharné de Jules consacré au développement du domaine de 500 hectares s’accompagne d’une intense activité marquée par la création de l’Ecole d’agriculture de Grandjouan en 1833 (grâce à l’obtention d’une aide du Conseil général et du Ministère du Commerce et de l’Agriculture) où il se propose de « former des ouvriers capables, de véritables contremaîtres ayant des connaissances élémentaires sans doute mais suffisantes pour mener à bien les travaux des champs ».

Outre son implication dans l’école, Jules Rieffel est l’instigateur du premier comice agricole de Nozay le 22 juin 1833. Nommé en 1837 membre du Conseil général d’Agriculture, il crée la revue Agriculture de l’Ouest de la France en 1839, qui lui permet notamment d’entrer en relation avec Armand du Châtellier. Entre-temps, l’école d’agriculture de Grandjouan devient Institut agricole de l’Ouest, par arrêté du 9 mars 1842, sous contrôle de l’administration désormais. L’enseignement veille à assurer une formation théorique et pratique.

Affecté par la perte d’un de ses fils en 1841, Jules Rieffel s’absorbe dans ses multiples activités, marquées notamment par la création en 1843, avec Armand du Châtellier, de l’Association bretonne (voir ci-après le paragraphe consacré à ce sujet).

Un arrêté du 11 novembre 1847 confère à Grandjouan le statut de « ferme école », impliquant l’extension de l’apprentissage à quatre années et l’inscription des modalités d’enseignement dans un programme national. Dans le même temps, le recrutement s’exerce par concours. En contrepartie, l’État attribue une dotation de 250 Francs par élève inscrit. L’engagement de l’État assure et pérennise le fonctionnement de l’école.

Les articles de référence qu’il publie conduisent Jules à être l’un des instigateurs du décret du 3 octobre 1848 sur les Etablissements d’instruction agricole. En 1881, il est mis à la retraite car bonapartiste et se retire à Rieffeland, près de sa fille, où il décède le 22 novembre 1886. Huit années plus tard, l’école sera transférée à Rennes où elle deviendra l’Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie de Rennes.

Armand René MAUFRAS du CHATELLIER (1797-1885)

Né le vendredi 7 avril 1797, place Saint-Corentin, à Quimper, fils de René Louis Armand du Châtellier, greffier du tribunal de Quimper, et de Reine Catherine Jeanne Le Bastard de Kerguiffinec, il conjugua une triple activité d’archéologue, d’historien et d’économiste.

Après ses études au lycée de Rennes, il entre dans une étude notariale à Quimper, avant d’être nommé aide-vérificateur des poids et mesures à Douarnenez. Ses idées politiques libérales se structurent dans sa fréquentation des membres d’une Chambre de lecture où les échanges se nourrissent de la presse parisienne. Devenu administrateur des douanes en affectation dans les Ardennes, cet éloignement est rendu nécessaire par sa participation imprudente à un banquet auquel participaient des députés finistériens de l’opposition.

Revenu à Douarnenez comme receveur des douanes, il épouse Alexandrine Paulymnie Huart le 28 octobre 1828, dont il aura trois enfants : Alice (1829-1902), Armand Paul (1833-1911) et Armande Marie (1838-1901). Sa carrière le conduit à Paris où il fréquente notamment le salon du comte Auguste Hilarion de Keratry.

Il conserve des attaches avec la Bretagne où de 1832 à 1844 il est le secrétaire de la Société d’émulation de Quimper et où il fait paraître en mai 1833, à Quimper, Mignon ar Labourer / L’ami du cultivateur (premier journal bilingue Français-Breton), après Les Annales bretonnes, publiées l’année précédente. En conformité avec son idéal de promotion sociale des ouvriers, il donne des cours d’histoire de la Bretagne, gratuitement, pour les sensibiliser à leurs droits et obligations, en même temps que pour leur faire connaître les progrès en matière d’industrie et d’agriculture. En 1836, il publie une Histoire de la Révolution dans les départements de l’ancienne Bretagne, en six volumes, puis l’année suivante l’ouvrage intitulé Recherche statistiques sur le Finistère. Il obtient en 1838 la fonction d’inspecteur des établissements de bienfaisance du Finistère. Sa production littéraire abondante le conduit à publier de nombreux articles historiques. Son implication dans la vie locale et sa notoriété lui valent en 1839 la direction du journal Le quimpérois qu’il exerce jusqu’en 1842. Il s’installe en 1843 au château de Kernuz dont il entreprend la restauration.

En 1848, Armand René Maufras du Châtellier est élu membre titulaire de la Société des sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise, dont il restera membre correspondant à son retour définitif en Bretagne. En 1854, il se retire au château de Kernuz et publie l’année suivante le mémoire Enquête sur l’état de l’agriculture française en 1865, dont lecture est donnée à l’Académie des sciences morales et politiques. Maire de pont l’abbé du 16 février 1874 au 8 novembre 1877, il décède le 27 avril 1885 au château de Kernuz.

Jules RIEFFEL, Armand MAUFFRAS du CHATELLIER et la création de l’Association Bretonne

Les deux hommes font connaissance par le biais de leurs publications respectives sur les sujets agricoles, avant de se rencontrer et de s’apprécier. Comme le rapporte Armand Mauffras du Châtellier : « De ce moment [ma nomination de directeur du journal Le Quimpérois], j’eus des correspondances suivies avec plusieurs personnes de la Bretagne et notamment avec Mellinet, imprimeur, et commandant de la garde nationale à cheval de Nantes, avec Rieffel, directeur de l’institut agronomique de Grand-Jouan, avec le docteur Guépin, avec Billaut, député, et plus tard président de la chambre et ministre […]

Mon existence devint ainsi de plus en plus animée et m’offrit en 1843, le moyen de réaliser l’idée que j’avais conçue depuis longtemps, de créer pour les cinq départements bretons, comme cela avait été fait en Normandie par mon ami M. de Caumont, une réunion de toutes les sociétés de Bretagne où se condenseraient les efforts et les renseignements qui pourraient aider à développer les progrès de l’agriculture et le mouvement général des études. Fondée à Vannes en septembre 1843 sous le titre d’Association Bretonne, j’exposais dans une première réunion l’objet que je m’étais proposé en même temps que je signalais le concours bienveillant et empressé qui m’avait été donné de toutes parts et sans aucune réserve du côté des opinions et des partis qui se partageaient le pays depuis l’avènement du gouvernement de 1830. »

  • Notes et souvenirs : Archives de la famille Maufras du Châtellier, château de Kernuz, près de Pont-Labbé, publié à Orléans, typographie Ernest Colas, 1881, p. 67

Le premier congrès de l’Association Bretonne se tient à la Mairie de Vannes les 20, 21, 22, 23 et 24 septembre 1843, précisant l’objet de l’association dont le but est de « recueillir, sur l’agriculture des cinq départements de la Bretagne, tous les renseignements qui pourraient éclairer le pays et le gouvernement. L’objet était à la fois d’étudier les besoins et les ressources du sol, et d’arriver à connaître quelles sont les pratiques et les méthodes suivies dans chaque localité, les conditions les circonstances de chaque espèce de culture, et de signaler au gouvernement les encouragements et la protection dont notre agriculture et nos intérêts ont le plus pressant besoin. » À l’ouverture du congrès, Jules Rieffel prit la parole, rappelant que « la Bretagne insolite immense encore à l’état inculte. Il manque à ce sol de la fécondité, des capitaux, de la population, de l’industrie surtout. Un million d’hectares en landes ! Mais c’est la surface de deux départements sans production. De ces landes et des autres terres arables susceptibles d’amélioration, n’est-il pas possible de tirer des richesses nouvelles pour le bien-être des populations ? »

Congrès de Vannes

Yves COPPENS

Le célèbre paléontologue et paléoanthropologue, spécialiste éminent de l’évolution humaine, s’est livré à un brillant exposé en sept points rappelant de façon chronologique les périodes décisives de l’évolution de l’humanité et les principales caractéristiques de chacune de ces dernières.

Né le 9 août 1934 à Vannes, il évoqua également ses liens d’attachement profond pour la Bretagne, cadre de son enfance, de sa scolarité au lycée Jules Simon de Vannes, puis de ses premières investigations scientifiques. Après avoir accompagné ses parents à Clermont, dans l’Oise, alors que son père préparait une thèse de doctorat sur la radioactivité, au retour de ces derniers à Vannes, en 1944, s’éveille en lui son intérêt pour le passé, nourri notamment par ses lectures au musée et à la bibliothèque de la Société polymathique du Morbihan. Plus tard, ses recherches seront à l’origine de l’inventaire et de la description d’une soixantaine de sites paléolithiques, néolithiques, gallo-romains et médiévaux.

À son entrée au CNRS en 1956, il se spécialise dans l’étude du tertiaire et du quaternaire. Maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle en 1969, il découvrit en 1974 l’Australopithecus afarensis (familièrement dénommé Lucy). Professeur et directeur du Museum National d’Histoire Naturelle, il sera titulaire en 1983 de la Chaire de paléontologie et Préhistoire au collège de France.

Surtout, les leçons et les enseignements qu’il dispense au Collège de France interpellent les participants sur la question des origines de l’homme, dans une approche tant biologique, que culturelle et environnementale.

Le manoir de Kerazan

Propriété de l’Institut de France (au même titre que le domaine de Chantilly, le château de Langeais, le musée Jacquemart André ou que l’abbaye royale de Chaalis), le domaine de Kerazan fut légué à cette institution en 1928 par Joseph-Georges Astor. Après des études qui le conduisirent jusqu’à l’obtention d’un doctorat en droit, il renonça à une carrière publique en raison de sa surdité. Au décès de son père, il se consacra à la rénovation du manoir familial de Kerazan, poursuivant sous l’angle pictural la collection engagée par son père. C’est ainsi qu’y figurent des œuvres de Maurice Denis, Charles Cottet, Désiré-Lucas, Georges Desvallières, Lionel Floch, René Piot, Lucien Simon, Octave Guillonet, Georges Sabbagh, Adolphe Dechenaud et Théophile Steinlen. En complément, il partagea avec son père un même intérêt pour la faïencerie de Quimper et l’œuvre d’Alfred Beau, qui avait épousé l’une des filles de l’écrivain Émile Souvestre et qui appliqua son art pictural au domaine de la faïence. Directeur artistique de la faïencerie Porquier, à Quimper, Beau se spécialisa dans la représentation de scènes traditionnelles bretonnes (fêtes, pardon, mariage, etc.). Son violoncelle en faïence, propriété de Kerazan, obtint une médaille d’argent à l’exposition universelle de 1878.

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Kerazan : Vue de la salle à manger. Au fond, une vitrine présentant des faïences rares.

Le manoir est entouré d’un parc de 5 hectares, lui-même enclos dans un ensemble de terrains agricoles et forestiers. Proche de Loctudy, sur la route qui mène à Pont-l’Abbé, le manoir se trouve à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Quimper.

Le château de Kernuz

Le dénouement de cette journée fut l’accueil fort aimable d’Henri Danguy des Déserts et de son épouse au château de Kernuz, près de Pont-l’Abbé. La visite du dernier domicile d’Armand René Maufras du Châtellier offrit aux participants l’occasion de se recueillir près de la petite chapelle où il repose. Le cofondateur de l’Association Bretonne avait une particulière affection pour ce lieu d’élection. Il en parle dans ces termes dans le petit ouvrage très personnel qu’il publia en 1881, intitulé Archives de la famille Maufras du Châtellier, château de Kernuz, près de Pont-Labbé.

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Le château de Kernuz

« Je termine par un dernier mot sur le château de Kernuz que j’ai rebâti en 1843, et qui est devenu l’habitation ordinaire de ma famille. Cette demeure qui fut une juveigneurie de la baronnie de Pont-Labbé, avec une basse justice, a été successivement occupé depuis le XIIe siècle par des gentilshommes dont quelques-uns suivirent du Guesclin jusque dans ses excursions en Espagne. Des monnaies en argent et en or du temps de Philippe Auguste, de Philippe Le Bel et de Louis le Hutin, trouvées sur place, ainsi que quelques pièces espagnoles du règne de Pierre Le Cruel, ne laisse aucun doute sur ce que nous avançons. Le château est resté entouré de ses murs d’enceinte de plusieurs corps de défense avec leurs meurtrières.

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Nicole du Châtellier évoquant ses souvenirs de Kernuz.

Quand les troubles de la Ligue survinrent à la fin du XVIe siècle, Kernuz se trouvait habitéé par des gentilshommes quittèrent résolument pour le parti du Roi contre les ligueurs. Des peintures à fresque dont il a été rendu compte avec quelques dessins, dans le Bulletin monumental de Monsieur de Caumont, en 1850, étaient restées sous les murs du vieux castel comme une satire contre le gros Mercoeur, chef des ligueurs. Kernuz a été occupé depuis par le chevalier Riou, du pays de Lannion, et la famille de Sclabissac dont deux officiers de marine étaient encore sur les lieux en 1784.

Acquis en 1817 par mon beau-père, M. Huard, je suis venu y demeurer en 1842, et je l’ai reconstruit à cette époque en lui conservant le caractère du XVe siècle, que de belles croisées indiquaient suffisamment. Le calme de l’étude et mon éloignement des fonctions publiques ont permis d’y créer une bibliothèque comprenant environ 3000 volumes. »

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Armes d’Armand du Châtellier (Chapelle de Kernuz)

 

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